Si ce n’était que ça ! Chacun en serait pour son compte d’époumonage, mais le résultat serait le même : une meilleure prise en charge de tous ceux frappés par le sort dans leur santé. Le public n’aurait d’autre intérêt à suivre les évènements que celui du Romain assistant aux jeux du cirque : un beau spectacle sanglant, et que le meilleur gagne !
Hélas, chaque partie a un regard bien à elle sur le sujet de la dispute. Pour les uns les soins dont ils font leur quotidien, la meilleure façon de les exécuter pour qu’ils soient efficaces et administrables à ceux qui en ont besoin. Pour les autres la façon de répartir et d’organiser le financement de ce puits sans fond que creusent les soignants par leurs actes et les patients par leurs demandes. D’un côté ceux qui dépensent. De l’autre ceux qui payent. De ce point de vue, la discussion est donc nécessairement faussée, chacun voyant midi à sa porte, mais les deux portes ne se situant pas sur le même palier.
Mais jusque là, rien de bien inattendu. Ca complique la discussion, mais avec un bon téléphone on doit pouvoir se parler d’un étage à l’autre. D’autant qu’au bout du compte, chacun défend des intérêts différents de la même personne : le citoyen qui par son côté « contribuable » finance le système, et qui par son côté « malade potentiel ou épisodique » pioche dans la caisse et participe à la dépense.
Et la difficulté est bien là, quand les consignes du citoyen-contribuable à ceux chargés de le défendre s’opposent à celles du citoyen-patient à ceux qui ont la charge de sa santé. Il dit à papa-qui-tient-la-bourse de rester ferme pour tenir les comptes, tout en disant à maman-qui-met-du-baume-sur-les-plaies de faire tout ce qu’elle peut parce que ça fait mal et que ça fait peur. « Maman, donne le moi, cet antibiotique. Qu’est-ce que ça peut faire s’il coûte 100 euros la boite ? » ; « Papa, ne la laisse pas gaspiller à tort et à travers. C’est quand même moi qui paye, à la fin ? Impose toi, enfin, c’est toi le chef de famille ! ». C’est finalement de ce citoyen ambivalent – ou schizophrène pourrait-on dire selon qu’on est tolérant ou agacé -, de chacun des aspects de sa double personnalité, que chaque partie tire sa légitimité et la considère comme prééminente.
Et alors, se dira-t-on ? L’ambivalence est humaine, ce n’est pas à un soignant qu’on va apprendre cela. Toute la tâche, sa difficulté, mais également sa grandeur, est de faire avec cette contrainte.
Ce qui serait vrai justement si chacune des parties avait la même conscience de cette réalité, et donc le même recul de ne pas se voir comme prééminente. Et toute la catastrophe survient lorsque, au contraire, Papa se fâche, tape sur la table, dit qu’il a été mis à cette place pour remettre de l’ordre dans la gabegie ambiante, et qu’il ne sera pas dit qu’il se dérobe devant son devoir. « De toute façon, j’ai raison parce que je suis le chef, un point c’est tout ! Je veux bien réunir tout le monde pour expliquer comment on va s’y prendre ; pas pour perdre du temps sur les états d’âme de chacun et encore moins pour remettre en question ce que j’ai décidé qu’on ferait ». Et comme on s’est débrouillé pour confier à Papa les cordons de la bourse, la capacité d’ouvrir ou de couper les vivres, de dire à Maman comment elle devra s’y prendre, et finalement de décider de qui sera Maman, l’asymétrie entre les deux parties devient patente. Autour de la table de ce jeu de poker, les représentants du citoyen-contribuable ont les cartes en main, et ceux du citoyen-patient ramassent les mégots.
Après tout, rien de plus normal, puisque le citoyen est contribuable bien plus souvent et bien plus longtemps qu’il est patient. Vu sous cet angle, la question de la prééminence ne se discute même plus.
Alors qu’en est-il de la question de départ : « Et le patient dans tout ça ? ». Claude Evin, prochain Directeur de l’ARS, déclare dans une interview du Monde « Personne n'a le monopole de l'intérêt des malades » : Papa disqualifie Maman, siffle la fin de la partie, et ramène Bobonne dans sa cuisine.
Quid des soins de proximité ? Quid de la prise en charge des personnes âgées ? Quid de la démographie et de l’explosion à venir du nombre de patients âgés à soigner ? Quid des tarifs prohibitifs des Maisons de Retraites décentes ? Quid des prix délirants autorisés de certains médicaments ? Quid des listes interminables de déremboursements ? Quid des sous-effectifs au lit du patient ? Quid des budgets d’intérim épuisés au milieu de l’année ? Quid des soignants introuvables car partis dans le privé rémunérateur à la sortie de l’école ? Quid des années de numerus clausus dogmatiques et imprévoyants dans les formations de médecins et d’infirmières ? …
Quid ? J’en sais rien, Bobonne est enfermée dans la cuisine …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire