Journal d'un chambardement

L’Hôpital Joffre-Dupuytren, hôpital gériatrique situé à Draveil (Essonne) dépendant de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, est pris dans une tourmente qui remet en cause jusqu’à son existence même.

Pour la première fois depuis longtemps, le mouvement de révolte des personnels inclut une mobilisation des médecins du site face à des annonces de restructurations avivant les pires craintes.

C’est dans ce contexte, et pour mettre sur la place publique le journal des évènements afin que chacun puisse suivre leur déroulement en connaissance de cause, que le Collectif des Médecins de l’Hôpital Joffre-Dupuytren entreprend la rédaction de ce blog.

dimanche 28 février 2010

La petite histoire de la grande Histoire


Pour en arriver au détail des évènements, il faut en revenir à Décembre 2009, avec la visite du Directeur Général de l'AP-HP, Monsieur Benoit Leclercq, au Député-Maire de Draveil, Monsieur Georges Tron, président du Conseil de Surveillance de l'Hôpital.


C'est que le contexte général est inquiétant : l'AP-HP s'engage dans un plan de réduction de son déficit par des économies de l'ordre de 100 millions d'euros par an en s'appuyant sur des réductions de personnel (3000 à 4000 sur les 90000 emplois de l'AP-HP, dont 50% de soignants et 50% d'administratifs), des économies de fonctionnement en regroupant des activités dispersées (d'où le regroupement annoncé des trois services de grands brûlés de l'AP-HP sur le site unique de Saint-Louis), des choix entre réhabilitations de structures et réaffectation de lits dans des structures en meilleur état (d'où le transfert annoncé de lits de l'Hôtel Dieu, trop cher à rénover, vers l'Hôpital Necker, plus économique à développer). D'ailleurs, l'ambiance ne tient pas à la seule AP-HP, mais subit de plus la prochaine mise en place au 1er Avril 2010 de l'ARS, dont le premier directeur sera Monsieur Claude Evin, d'ors et déjà en place comme responsable préfigurateur depuis Septembre 2009. Or Monsieur Evin n'a jamais fait mystère ni de sa vision rigoriste des nécessités d'équilibre du budget de la santé, ni de son ambition de réduire les marges de manoeuvre spécifiques de l'AP-HP.


Cette visite donc, du Directeur Général de l'AP-HP au maire de Draveil, est marquée par la réassurance quant au maintien de l'activité de l'Hôpital. Des promesses sont semble-t-il présentées, des engagements pris. Les projets de restructuration de l'AP-HP, le plan de réduction drastique de personnel ne devraient toucher qu'à la marge l'Hôpital. Tout va bien. D'ailleurs l'Hôpital vient d'être réhabilité à grands frais, son taux d'occupation des lits de SSR est remarquable aux environs de 95% en 2009, son activité est largement orientée sur la proximité et ne dépend de patients parisiens que pour une faible proportion.


Mi Janvier, le vent commence à tourner. Le Conseil Exécutif de l'AP-HP, instance réduite de quelques personnes, entérine un vaste projet de restructuration dont les détails ne tardent pas à être connus, et prennent une forme visible début Février, affectant l'Hôpital Joffre-Dupuytren dans les proportions que l'on sait : transfert d'une première tranche de 68 lits de SSR sur l'Hôpital Rotschild pour l'automne, et transfert des postes soignants correspondants à l'avenant. Heureusement pour une administration toute-puissante, une nouvelle réglementation impose la mobilité à tout fonctionnaire, y compris dans la fonction publique hospitalière. Dans sa grande humanité, l'administration autorise l'intéressé à refuser deux propositions de réaffectation avant que son refus de la troisième ne soit synonyme d'éjection vers la case Pôle Emploi. Dans « Le parrain », Don Corleone disait déjà « Je vais lui faire une proposition qu'il ne pourra pas refuser », mais à l'époque on savait que c'était du cinéma.



Il faut noter que l'annonce de ce plan opérationnel prend nombre de médecins à contre-pied, ces-derniers ayant été depuis des mois mobilisés sur une réflexion initiée par la loi HPST concernant la recherche de complémentarités locales avec les structures de soins de la proximité. L'annonce tombe ainsi comme un couperet sans attendre la fin de cette réflexion pour laquelle des réunions de travail se tenaient encore quelques jours avant.


Le maire de Draveil, quant à lui, n'apprécie pas du tout la surprise, surtout compte tenu des assurances reçues en Décembre, et le fait savoir tant sur le bulletin municipal que par voie de presse ou en rencontrant les personnels de l'hôpital.


Pour se faire une idée concrète des choses, 68 lits correspondent à deux étages de l'un des deux bâtiments de l'hôpital, soit environ 15% de la capacité de l'Hôpital Dupuytren. Le nombre de soignants concernés s'élève à environ 110 personnes. Les conséquences de la fermeture annoncée parallèlement du Laboratoire de Biologie s'évaluent quant à elles en termes de qualité de service et de niveau de prise en charge médicale, pour ne rien dire des déplacements des personnels concernés.


Pour faire bonne mesure, la valse administrative des réaffectations de directeurs d'hôpitaux, prend une ampleur insoupçonnée. L'ensemble du Groupe Hospitalier mis nouvellement sous la tutelle de l'Hôpital Henri Mondor de Créteil est maintenant régi par un directeur unique et un certain nombre de directions centralisées. Les anciens directeurs de chacun des hôpitaux se retrouvent ainsi bridés en « directeurs de sites », à la tête de directions locales squelettiques. Et comme il n'est pas commode de faire passer la pilule, et que la priorité du moment passe à l'application de directives centrales autoritaires plutôt qu'à l'ancienne gestion locale du fonctionnement de l'hôpital, mieux vaut des hommes nouveaux à ces fonctions nouvelles. Le directeur de l'Hôpital Joffre-Dupuytren, bien que nommé à ce poste il y a un an à peine, prend de nouvelles fonctions comme DRH général du Groupe, et est remplacé localement par un nouveau directeur devenant Directeur de Site. Evidemment, les personnes elles-mêmes ne sont pas en cause, mais le mouvement général et le vaste jeu de chaises musicales parlent d'eux-mêmes.


Quand le nouveau Directeur de Site prend ses fonctions mi-Février, il est accueilli par une CCM extraordinaire convoquée à la demande des médecins qui viennent de se constituer en Collectif de Défense de l'Hôpital, qui lui manifestent leur incompréhension de voir l'Hôpital traité de la sorte, leur inquiétude quant à son avenir. Ils lui expriment leur lecture des événements comme étant le produit d'une logique comptable dans laquelle aucune place n'est laissée à une perspective médicale voire simplement soignante, et dans laquelle la notion de concertation semble tout bonnement ignorée.


Parallèlement, les personnels se mobilisent dans l'hôpital. Les autres hôpitaux soumis aux mêmes intempéries font de même, tant au niveau médical que soignant.

mardi 23 février 2010

Avanies, double dose

L’Hôpital Joffre-Dupuytren, et il n’est pas le seul dans l’œil du cyclone, se trouve donc à devoir faire face, dans un contexte qui n’a comme on l’a vu rien d’innocent, à des décisions de remaniement, de restructuration, aussi massives que fondamentales et subites.




En premier lieu, la création par l’AP-HP d’un grand secteur gériatrique dans l’Hôpital Rotschild (donc dans Paris intra muros) doit se faire à moyens constants pour l’institution en termes de lits de SSR. Qu’à cela ne tienne, fauchons dans les lits éparpillés en périphérie et délestons les hôpitaux Charles Foix (Ivry-sur-Seine, 94), Joffre-Dupuytren (Draveil, 91), et Georges Clémenceau (Champcueil, 91) du nombre de lits nécessaires pour la première tranche de l’opération ! On ne dit au passage rien de la seconde tranche à venir. Naturellement, l’ambiance étant à la mainmise administrative, nul besoin de consulter les médecins ou les soignants, ces éternels empêcheurs d’administrer en rond. Et bien entendu, en vertu des stratégies de la guerre éclair et de la saturation du champ de manœuvre qui semblent avoir pris pied dans notre quotidien, plus on annonce gros, plus on met des délais courts avant les échéances, moins on se sent tenu par les promesses et les engagements pris, plus les choses sont susceptibles de passer. Ok, mettons ça quelque part à la fin de l’année, et le tour sera joué.


En second lieu, le Laboratoire de Biologie de l’Hôpital Joffre-Dupuytren, bien que se chargeant déjà des activités de biologie de trois hôpitaux (Joffre-Dupuytren, Georges Clémenceau, et Emile Roux à Limeil-Brévannes, 94), pourra aussi bien déléguer l’ensemble de ses actes aux laboratoires de l’Hôpital Henri Mondor, à Créteil, 94, que le regroupement interhospitalier en cours promeut en navire amiral du groupe. Avantages : respect du dogme. Inconvénients : quelle importance ? De toute façon, il suffit encore de ne rien demander à personne si ce n’est d’appliquer les décisions et de précipiter le mouvement pour ne pas rencontrer trop d’arguments contraires.

Voilà toute l’histoire.

Et c’est en réaction à ce grand chambardement que se lèvent les protestations des personnels de l’Hôpital Joffre-Dupuytren. C’est aussi dans ce mouvement que s’est constitué le Collectif Médical de Défense de l’Hôpital Joffre-Dupuytren.

La Vague et le Vent : météo du chambardement

Dans ce vaste jeu de créations - fermetures de structures pour personnes âgées, l'APHP a fait le choix de la prise en charge médicalisée, délaissant le terrain du médico-social (les patients de SLD les moins lourds). D'où une première vague, déjà passée, de diminution du nombre total de lits de gériatrie.

Depuis peu, une seconde vague vient compléter les effets de la première, une vague levée par les effets conjugués de deux vents différents.




Un premier vent, qui serait anecdotique si la place d'une administration planifiante n'avait pas pris au cours des dernières années autant de vigueur, est celui qui frappe l'AP-HP en tant qu'entité semi-autonome. Comment planifier sans faire « rentrer l'AP-HP dans le rang » de la tutelle hospitalière ordinaire ? Plus de règle à part, plus de fonctionnement spécifique, plus « d'Etat dans l'Etat », et on pourra administrer en paix. Et on comprend que malgré sa taille et son passé, l'AP-HP ne soit pas, dans cette ambiance, en position aisée pour affirmer ses choix ou ses ambitions.

Un second vent vient de la direction de la loi HPST. Les restructurations internes de l'AP-HP se multiplient, les hôpitaux se regroupent sous des directions communes, les centres de décision se réduisent en nombre et en taille. Des Groupes Hospitaliers se forment, à l'échelle d'un « bassin de vie », autant dire d'une tranche de la région parisienne. La concentration prend de l'ampleur, au niveau de chaque Groupe Hospitalier, et au niveau général de l'institution. L'éparpillement devient diabolisé, et les moyens se recroquevillent sur les fondamentaux : le mastodonte régional n'a plus les moyens de sa taille ; très bien, réduisons la taille et concentrons nous sur Paris intra muros.



Et on en arrive enfin au sujet qui nous occupe, aux avanies que subit l’Hôpital Joffre-Dupuytren en ses temps troublés.

Petite histoire de l’Hôpital Joffre-Dupuytren et de l’AP-HP

Un dernier point, qui n’est pas sans importance pour ce qui nous occupe, concerne la place particulière de l’Hôpital Joffre-Dupuytren dans le contexte de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.

L'AP-HP se compose de 37 établissements répartis sur Paris intra muros et la petite couronne, les départements périphériques de la région parisienne, et quelques sites en province. Sur ces 37 établissements, 9 sont purement gériatriques.

Si elle fait partie du système hospitalier public général, l'AP-HP dispose d'un statut particulier compte tenu de sa taille, de son histoire, de sa triple activité de soins, de recherche, et de formation universitaire. Elle dépend de la Ville de Paris, et fonctionne comme un établissement unique avec localisations multiples. Son siège est à Paris, et elle est gérée par un Directeur Général. Outre ses instances administratives et son Conseil d'Administration, sa plus haute instance médicale est dite Commission Médicale d'Etablissement ou CME (l'équivalent au niveau de chaque hôpital est dit Commission Consultative Médicale ou CCM).


En 1931 l’AP-HP construit à Draveil le sanatorium qui deviendra l'Hôpital Joffre en 1960 en devenant lieu de long et moyen séjour pour personnes âgées. En 1967, devant l'engorgement des hôpitaux parisiens en patients dits chroniques, l'AP-HP construit en complément à Draveil l'Hôpital Dupuytren qui sera rapidement associé à l'Hôpital Joffre sous l'égide d'une même direction. Ce ne sera qu'au milieu des années 2000 que le Groupe Hospitalier trouvera son nom actuel d'Hôpital Joffre-Dupuytren. Essentiellement consacré à la prise en charge des patients âgés depuis les années 60, l'hôpital aura ainsi accompagné la naissance puis l'évolution de la discipline gériatrique à la fois dans la pratique médicale et au sein de l'AP-HP. Il dispose aujourd'hui de lits de Médecine Aiguë (Médecine Gériatrique, Gérontopsychiatrie, Unité de Soins Palliatifs), de lits de Moyen Séjour ou Soins de Suite – Réadaptation (SSR), et de lits de Long Séjour ou Soins de Longue Durée (SLD), ces-derniers étant actuellement regroupés sur le site de Joffre. L'hôpital dispose également d'un Hôpital de Jour, d'un Centre de Consultations, d'un plateau technique avec Radiologie et Laboratoire de Biologie.


Les locaux du site de Dupuytren ont été entièrement rénovés en 2006-2007. Un vaste projet en cours prévoit la construction d'un nouveau bâtiment (« Castor ») pour accueillir les patients les plus dépendants du SLD actuel, le site de Joffre étant destiné à disparaître. Les patients les moins dépendants devront alors trouver des lieux d'accueil moins médicalisés, dans diverses structures de type Maison de Retraite ou EHPAD (Etablissements d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes). Ces-derniers ont été créés il y a quelques années afin de servir de solution intermédiaire entre la Maison de Retraite, non médicalisée, et le SLD, hospitalier.


HPST : la fin de l’Histoire

Dans le dernier soubresaut en date de cette vaste histoire, produit d'un long mûrissement administratif, s'appuyant sur les Rapports ad hoc, et couronnant son apogée, la loi dite HPST pour « Hôpital - Patient - Santé - Territoire », outre ses dispositions sur les rôles de chacun au sein de l'hôpital (gouvernance, pôles, statuts des emplois de directeurs et de médecins), entend mieux adapter l'offre de soins et la demande de soins.

Elle incite ainsi en substance à favoriser les concentrations hospitalières évitant les doublons d'activité (et on entend en écho les discours lors de fusions d'entreprises concernant les synergies, les économies d'échelle, ...), les petites structures synonymes de faible activité donc de faible expérience donc à risque (avec en écho les constructions à base de Principe de Précaution, mais également les effets dispendieux de la dispersion des crédits).

jeudi 18 février 2010

Une petite histoire de l’hospitalisation et de son financement

Il fut un temps où l’hôpital était le refuge des malades indigents, le dernier asile où quelques soins étaient parcimonieusement distribués par des œuvres religieuses au nom de la charité. Lentement, les cornettes ont fait place à une administration et les médecins ont fait leur entrée dans ce lieu insalubre. Les indigents ont laissé la place aux patients les plus complexes que les soins de ville n’étaient plus en mesure de prendre en charge. La charité s’est effacée devant la médecine à mesure que celle-ci devenait une science et qu’elle investissait les lieux pour en faire le centre névralgique de son implantation et de son développement. L’hôpital devenait ainsi le lieu de la formation des médecins, celui de leurs recherches, celui de la mise à disposition de leur expertise grandissante. Les médecins apprenaient, cherchaient, soignaient ; l’administration se débrouillait tant bien que mal pour faire tourner la machine et suivre le mouvement.

Arriva un temps où les maigres subsides, les dons, les legs, la charité publique ou individuelle, la bonne volonté, le bénévolat, … ne suffirent plus à financer les coûts grandissants de cette entreprise. D’autant que le désir de justice sociale ouvrait désormais toutes grandes les portes de l’institution à la multitude des patients en demande légitime de soins, d’examens, sur un pied d’égalité et pour un coût mutualisé. La gestion de l’hôpital, et plus généralement du système de santé, devenait affaire de plus en plus collective, même si dans le détail elle laissait survivre quelques formes d’action privée au sein du dispositif général.

Pour ce qui est de l’hôpital public, il devint soumis aux règles de la comptabilité publique. Le budget de chaque hôpital n’aboutit, dans cette évolution, qu’à être grossièrement informatif, reprenant d’année en année dans son financement le déficit de l’année antérieure. Telle était la situation qui prévalait encore au milieu des années 80 : des médecins au contrôle des soins donc de la dépense, une administration centrale en charge du comblement annuel des dépenses nouvelles, une administration locale en charge de la coordination et la bonne gestion du système sur le terrain.


Joseph Joffre (1852 -1931)

Soudain, on s’aperçut que ce fonctionnement laissait libre cours aux dérives de dépense. A cette époque se construisit l’adage : « Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût », qui présida à la définition au niveau national d’un budget global de la santé, dit ONDAM (Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie), qu’il fallut répartir entre chaque structure de soins dans le cadre d’un financement limité et prédéterminé dit « Enveloppe globale ». Plus de rattrapage budgétaire qui tienne : chaque établissement eut son budget prévisionnel à ne dépasser sous aucun prétexte.

Mais les dérives budgétaires persistaient. Naquit alors l’idée, dans un souci d’équité et de transparence, de faire dépendre au plus près le financement de chaque hôpital de la réalité de son activité : on inventa la T2A, ou Tarification à l’Activité, encore en vigueur de nos jours. Le principe en est lumineusement simple : les modalités de prise en charge d’une maladie donnée étant codifiées, le cours de l’évolution de cette affection sous ce traitement doit être prévisible et relativement uniforme, et les coûts afférents doivent donc être standardisables. Ainsi, à chaque pathologie peut être affecté un coût moyen, qu’il suffit d’additionner pour calculer les recettes de l’hôpital qui prend en charge ces patients. On avait réinventé le paiement à l’acte, en l’appliquant à l’hôpital, et en redéfinissant au passage l’acte comme la prise en charge d’une pathologie et non plus celle d’un patient avec ses aléas de parcours.

Mais rien n’y faisait, les dérapages budgétaires étaient encore trop largement répandus. Où pouvait donc résider la fuite ? Si le système, pour raffiné qu’il soit, ne parvenait pas à endiguer les dépenses, ce devait être en réalité la maîtrise du système qui posait problème. Peut-être alors suffirait-il de changer les hommes pour retrouver une rigueur budgétaire. Ainsi naquit l’idée d’une « Nouvelle Gouvernance » faisant reprendre en main par l’administration les choix stratégiques de chaque hôpital. Les chefs de service se virent adjoindre l’aide d’un Cadre Administratif. Les services eux-mêmes furent enjoints de se regrouper en Pôles destinés à faire jouer des synergies, et permettant de réduire le nombre des interlocuteurs médicaux face à l’administration. Les instances hospitalières se virent concentrées au sein d’un Directoire ou d’une Cellule de Direction. Et pour couronner le tout, des Agences Régionales d’Hospitalisation furent créées, bientôt rebaptisées Agences Régionales de Santé.

Indépendamment des personnes, dont le caractère et l’ouverture pouvaient continuer malgré tout à s’exprimer selon leur personnalité, les structures étaient ainsi prêtes pour une large remise en ordre des finances hospitalières et du fonctionnement des hôpitaux.

Un bouleversement à la hussarde

Par où faudrait-il commencer pour que tout cela soit un tant soit peu compréhensible au commun des mortels, pour peu qu’il ait une âme citoyenne et soit un brin soucieux de l’état et de l’avenir du système de santé qu’il contribue à financer et dont il attend une sécurité contre les coups du sort et un soutien pour ses vieux jours ?

Peut-être par un petit rappel historique, pour dresser la toile de fond devant laquelle les évènements actuels qui font et défont le système de santé qu’on nous prépare, et qu’on commence à construire au bulldozer et à la dynamite, pourront enfin commencer à prendre place.


-------------------------------Guillaume Dupuytren (1777 - 1835)


Il n’est bien sûr pas question de faire ici œuvre d’historien professionnel, d’éclairer du jour aveuglant de la vérité tous les méandres de la longue histoire qui a mis au cours des siècles les soins à portée du plus grand nombre et la médecine au service de chacun. Il ne s’agit modestement que de rappeler la trame et les enjeux essentiels qui ont planté le décor auquel nous sommes aujourd’hui accoutumés, afin que les évolutions en cours puissent prendre leur sens et laisser transpirer leur logique. Afin aussi que le journal des péripéties de la réorganisation de l’hôpital qui nous occupe ici prenne toute sa dimension de réalité au lieu d’en rester à l’impression kafkaïenne d’insondable mystère qu’il laisserait à un lecteur non ainsi éclairé.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : observer et comprendre le bouleversement imposé à un système éprouvé, à une machine huilée par les ans, sous les effets conjugués de dogmes managériaux, de contraintes financières, de choix budgétaires, d’appétits réformateurs, de conditionnement social, … et parfois de préoccupations de santé publique, le tout dans une stratégie tantôt de conciliation, tantôt de passage en force avec son cortège de coups bas, de dissimulations, de jeux de pouvoir. Observer, comprendre, mais aussi suivre lucidement, autant qu’il est possible, l’application actuelle à la hussarde de ce bouleversement, en dirigeant l’objectif sur un hôpital particulier.

Bien sûr, le sort d’un hôpital en particulier ne résume ni l’ensemble d’un système de santé, ni une politique générale. Mais il montre de manière concrète les vicissitudes, les difficultés, la violence des évènements et des pratiques en cours. Et s’il est humain pour chacun de penser qu’on peut regarder de loin et sans émotion excessive le boulet tomber sur le village voisin, voire même de se dire que s’il est pris pour cible ce n’est peut-être pas par hasard, ou encore qu’après tout s’il faut des victimes autant que ce soit lui plutôt que soi-même, il est tout aussi humain d’imaginer qu’une machine qui rode sa capacité de destruction et ses procédures d’action ne tardera sûrement pas à les détourner vers les objectifs les plus divers. Et que le village aujourd’hui épargné ne vit plus qu’un simple sursis.

Mais revenons en à notre rappel historique.