Journal d'un chambardement

L’Hôpital Joffre-Dupuytren, hôpital gériatrique situé à Draveil (Essonne) dépendant de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, est pris dans une tourmente qui remet en cause jusqu’à son existence même.

Pour la première fois depuis longtemps, le mouvement de révolte des personnels inclut une mobilisation des médecins du site face à des annonces de restructurations avivant les pires craintes.

C’est dans ce contexte, et pour mettre sur la place publique le journal des évènements afin que chacun puisse suivre leur déroulement en connaissance de cause, que le Collectif des Médecins de l’Hôpital Joffre-Dupuytren entreprend la rédaction de ce blog.

lundi 12 avril 2010

Exégèse des conclusions de la réunion avec le Directeur Général de l'AP-HP et le Maire de Draveil

Un compte rendu, daté du 07/04/10, de la réunion du 02/04/10 et soumis à la réflexion des participants a été émis par le Directeur Général.

Les termes en sont un peu plus mesurés que le compte rendu oral de la rencontre n'en avait tout d'abord donné l'impression, même si l'essentiel, la préservation des lits et des emplois, est acquis.

Mais le diable se niche dans les détails, et de détails il n'en manque point.


Concernant les lits de SSR et de SLD, ils sont maintenus (avec les emplois afférents) « dans la mesure où le taux d'occupation est proche de 100%, les DMS sont conformes à la moyenne régionale, et les patients pris en charge sont originaires du territoire de santé ». Autrement dit, gare à un fléchissement du taux d'occupation, et surtout gare à la non diminution de la DMS.

C'est que « la pérennité de l'établissement passe par le développement de son activité et par son ouverture sur son territoire de santé ». Et on s'y prend comment, puisqu'on est déjà plein et avec des patients du coin ? La solution est simple et repose toujours sur la même piste : en baissant la DMS, on augmente le nombre de patients possiblement pris en charge puisqu'on n'envisage qu'un taux d'occupation maximum. Et pour se garder une chance de recettes supplémentaires en prévision de ce que la T2A SSR viendra grignoter du financement des séjours, autant miser également sur la validation de thèmes spécialisés de prise en charge : et voilà pour l'onco-gériatrie, la psycho-gériatrie, et toutes les « thémo-gériatries » qu'on voudra bien développer. Au passage, même si on ne sait pas encore grand chose de la T2A SSR, on voit qu'on se doute bien qu'elle se traduira par une diminution des recettes.

Concernant le laboratoire, les choses sont moins positives qu'on l'avait initialement compris, avec le simple report à 2012 du projet de regroupement. Encore qu'il faille lire entre les lignes qui se contentent de dire que « le projet de transfert du laboratoire au 3me trimestre 2010 devra garantir un service médical rendu et des restitutions dans des délais médicalement justifiés ». Après question à la DG, son Chef de Cabinet précise que le 3ème trimestre 2010 est à entendre comme l'échéance de la mise au point du projet, son échéance de réalisation devant être « définie au sein du groupe hospitalier », laissant le flou persister par rapport à une échéance en 2012 telle qu'évoquée lors de la rencontre du 02/04/10. Enthousiasmant, non ?

De même pour l'avenir des Pharmacies, avec une porte ouverte laissée sur le choix du lieu de leur regroupement : pourquoi pas à Dupuytren, faudra voir, faudra y penser, ... allez, disons qu'on y pense jusqu'en Septembre, que vous bossez pour soumettre un projet bien ficelé, et en verra si on pourra s'en servir ... En langage officiel, ça donne « (Cette proposition) devra faire l'objet d'une expertise approfondie d'ici le début du mois de Septembre ». De quoi rassurer dans les chaumières draveilloises !

Enfin, et en tout état de cause, puisqu'on est bec et ongles sur les postes soignants, peut-être qu'on sera moins regardants sur les emplois périphériques : « L'établissement ... devra mener à bien une réflexion sur le bon dimensionnement de son plateau médico-technique ». En bon français, ça donne : on vous laisse tranquilles avec les postes soignants, mais nous on doit rendre des postes, alors soyez raisonnables, trouvez-vous du gras à perdre sur les fonctions support !

On parlait il y a quelques jours de goûter le lait et le miel de la Terre Promise. C'était pourtant compter sans les affres de l'exégèse.

samedi 10 avril 2010

Quand la Comm retourne la situation ...

Réactive comme jamais, l'AP-HP publie dans son Webzine du 09/04/10 un article sur "La suite des soins en soins de suite", à peine 24 heures après la seconde cession de négociations consacrées à la gériatrie et au SSR. On admirera au passage la pointe d'humour du titre.

Et juste pour le plaisir, on ne peut s'empêcher un arrêt sur le dernier paragraphe de l'article :
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"L’ouverture prochaine et progressive du Nouveau Rothschild dans le 12ème arrondissement permettra ainsi d’accueillir des patients parisiens relevant de soins gériatriques ou de soins de suite et réadaptation spécialisés. L’ouverture du nouvel hôpital au 3ème trimestre 2010 permettra de libérer des capacités d’accueil en faveur des patients résidants à proximité des hôpitaux de l’AP-HP situés en grande couronne. "
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La dernière phrase (surlignée par nos soins) vaut son pesant de cacahuètes ! Un bel exemple de communication quand on se rappelle d'où l'on partait il y a encore quelques jours.

Poursuite des négociations sur la Gériatrie et le SSR au Siège de l'AP-HP

Alors que l'Hôpital Joffre-Dupuytren est toujours dans l'attente de la version définitive du compte rendu version Direction Générale de la rencontre du 2 Avril entre le Directeur Général de l'AP-HP, le Maire de Draveil - Député - Secrétaire d'Etat à la Fonction Publique -Président de la Commission de Surveillance de l'hôpital, l'Intersyndicale, et le Collectif Médical, les négociations se poursuivent au Siège de l'AP-HP suite au mouvement du 12 Mars.
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La réunion du 8 Avril concernait pour la seconde fois la gériâtrie et le SSR. La Direction Générale en a publié un compte rendu. La CFDT qui participait à la rencontre a également fait connaître sa vision de cette réunion et ses premières réactions. De son côté, le Nouvel Observateur se fait l'écho de cette réunion.
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Globalement, les choses avancent doucement. La Direction Gérérale réaffirme la création des Groupes Hospitaliers, et ne pas vouloir discuter de ses objectifs de réduction globale de personnel. Les avancées concernent :
  • le maintien au sein de l'AP-HP des hôpitaux Joffre-Dupuytren, Georges Clémenceau, et Paul Doumer,
  • le maintien de la capacité globale de lits de SLD de l'AP-HP,
  • le maintien des capacités de SSR de Clémenceau et Dupuytren,
  • le maintien des projets de bâtiments Pollux et Castor pour le transfert à Dupuytren de 240 lits de SLD de Joffre,
  • la révision des modalités d'ouvertures de lits de SSR spécialisés incluant une participation des spécialités concernées et non plus par ponction sur les lits de gériatrie,
  • la révision des modalités d'ouvertures de lits de gériatrie de l'Hôpital Rothschild sans prélèvement sur les lits d'hôpitaux périphériques.

Un point pas très clair cependant, à qui n'est pas dans le secret des Dieux, concernant le réexamen "approfondi" du projet médical de l'Hôpital Charles Foix.

Par ailleurs, l'ambiance semble être à une orientation des économies d'emplois sur les fonctions support. A priori, pas plus bête qu'autre chose, en particulier qu'une diminution des effectifs soignants au lit du patient.

Mais du coup, on voit se dessiner progressivement l'hôpital de demain, oubliant le vieux modèle du "tout service compris" proche de l'autarcie, et se dirigeant vers un service soignant exclusif soutenu par une série de prestataires extérieurs. Juste pour fixer les images, imaginons pêle-mêle une liste des domaines d'action de ces prestataires possibles :

  • ménage,
  • entretien,
  • jardins,
  • restauration des patients,
  • restauration du personnel,
  • lingerie,
  • service informatique,
  • médecine du travail,
  • transports,
  • sécurité,
  • télévision, téléphone,
  • magasins divers (journaux, souvenirs, articles de toilette, vêtements, pompes funèbres, loueurs de matériel médical, ...)
  • chambre mortuaire,
  • comptabilité,
  • communication,
  • matériel médical,
  • matériel non médical,
  • gestion de salles, de réunions,
  • ...

Evidemment, rien ou presque de tout cela n'est décidé, ni même entièrement imaginé. Mais il suffira de peu d'efforts pour permettre aux imaginations les plus intrépides de se mettre à la tâche.

jeudi 8 avril 2010

Vieux motard

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Interminable journée d'attente de la lettre de la Direction Générale posant par écrit les conclusions de la rencontre du 02/04/10. La lettre était promise pour "l'heure du thé", et c'est finalement l'annonce de son retard qui est arrivée : aujourd'hui peut-être, ou alors demain ...
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C'est dans cette attente sub-fébrile qu'est tombé un Communiqué du SGHP (Syndicat de Gériâtrie des Hôpitaux de Paris) dont la réaction aux évènements et le soutien étaient réclamés depuis le 17/02/10. Sa première réponse, en date du 08/03/10, avait quelque peu "surpris" bon nombre des gériatres pris dans la tourmente des restructurations, en particulier des fermetures de lits, annoncées. Dans sa Déclaration du 15/03/10, le SGHP exprimait certes son incompréhension des réactions suscitées.
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Mais par son dernier Communiqué, l'engagement du SGHP est désormais clair aux côtés de tous ceux qui défendent depuis plusieurs semaines l'introduction d'une réflexion médicale plutôt que principalement administrativo-financière dans la définition et l'élaboration du projet gériatrique de l'AP-HP, et qui manifestent leur hostilité aux restructurations prévues.
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Une clarification qui méritait d'être faîte, bonne nouvelle occupant cette journée en l'attente de celle tant attendue qui devrait occuper, nous promet-on, la journée de demain concernant l'avenir de l'Hôpital Joffre-Dupuytren.
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mardi 6 avril 2010

Le temps suspendu

C'est une étrange impression depuis trois jours que de flotter quelque part entre la satisfaction du but accompli, le léger doute avant la certitude qui n'est encore qu'annoncée que l'objectif est réellement atteint, et la lente défervescence de l'action qui vire soudainement au repos. Quelque chose comme un sentiment que le temps reste suspendu dans un vide de la continuité. Un genre de calme après la tempête, de sensation de bien-être après levée d'obstacle. On a juste envie de s'allumer une cigarette et de s'entendre dire : « Alors, heureux ? ». Juste envie que le temps suspendu le reste encore, à l'infini, ou au moins encore un peu. On se laisse bercer par Lamartine déclamant depuis la berge de son lac :
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" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! ».
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Et puis une légère brise se lève, soulevant à peine un léger clapotis à la surface de l'eau : il va bien falloir s'habituer au retour du quotidien, des rituels routiniers. Ne plus entendre la journée ponctuée des accents de Carlos Puebla. Ne plus attendre quotidiennement l'email récapitulatif du « Proseur du soir ». Ne plus guetter la presse et les bruits de couloir. Revenir à la quotidienneté, simple, timide, loin des grandes envolées aux accents de David contre Goliath. On le savait, on l'espérait, ce moment de retour à la normale, à notre mission première. On l'attendait ; et on se sent tout bête quand enfin il est là, même si ce n'est pas une légère brise qui va nous faire trébucher. On entend encore Lamartine geindre au bord du lac :

« Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ? »

Et puis le vent forcit. De nouvelles questions surgissent, lentement hors des nuages qui doucement s'estompent. Joffre-Dupuytren a sauvé sa peau, pour le moment. Il est sorti de la tourmente, mais d'une tourmente qui pour autant fait encore rage autour de lui. Sur le champ de bataille des restructurations de l'AP-HP, un soldat se relève, mais pour trouver autour de lui encore combien de blessés à terre ? Les soldats Roux, Clémenceau, Foix, Trousseau ... Combien se relèveront aussi ? Combien seront-ils encore quand la mitraille aura vraiment cessé ? Même pour les survivants des tranchées, Verdun n'a jamais plus ressemblé à son visage d'avant les hostilités. Quel sera notre nouveau paysage ? A coup sûr différent de celui que nous avons connu. Mais à quel point aura-t-il changé ? Quelles adaptations exigera-t-il de nous ? Quelles plaies resteront vives, lesquelles cicatriseront, et avec quelles séquelles ? Quelles rancœurs, quelles solidarités nouvelles, seront nées devant l'adversité heureusement dépassée ?

Mais les bourrasques savent aussi s'interrompre, le temps de goûter le temps, de savourer l'instant. On sait qu'il faudra bientôt retendre de la toile, mais pour l'instant, le calme est bien là. La surface de l'eau se lisse à nouveau, et Lamartine achève son chant :

« Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé ! »